Jaime-Semprun_

                                                     

                                                                                          Pourquoi il n’y a pas d’art contemporain

 

Pourquoi des artistes ? Aujourd’hui nécessairement anachroniques.

Le devoir, pour un artiste, d’être anachronique : quand c’est contemporain, ce n’est pas de l’art ; quand c’est de l’art, ce n’est pas contemporain. Ce qui est art (sensation distillée, etc. : cf. Adorno) ne peut être contemporain, mais seulement «d’une autre époque» – la prochaine.

L’histoire de l’art moderne comme autodestruction. Cette histoire est finie ; ce n’est même plus la phase terminale… (Cf. les situationnistes sur les répétitions.)

Les discussions esthétiques périmées qui se prolongent en s’auto-parodiant tout au au long du xx e siècle, et au-delà…

L’oeuvre d’art est par essence individuelle, dans sa création comme dans se réception. L’effacement de l’individualité et l’abolition de l’art.

Comme il n’y a de science que du général, il n’y a d’art que du particulier, évidemment. Mais cette évidence, si on la confronte à l’histoire, perd beaucoup de son caractère d’évidence…

Il n’y a pas d’art social. La teneur artistique s’évapore dans l’art socialement dirigé. La séduction de l’I.S., par exemple…

La dialectique de l’individualisation-aliénation : producteur indépendant de marchandises artistiques, valorisation de la «marque déposée», le «génie», etc.

La rencontre de l’abolition de l’art individuel par la société de masse et de refus du rôle individuel de l’artiste par les avant-gardes (« la poésie personnelle ») : rencontre déterminante, et désastreuse.

Le renversement du slogan de l’art moderne : «La poésie doit être faite par tous» : la société démocratiquement garantie, reconnue…

La lutte sur les moyens de conditionnement, des futuristes à l’I.S.

L’abolition de l’art par la société de masse. Tous artistes! La démocratie : artistes en boulangerie.

L’abolition des contraintes (formelles) à l’intérieur d’une société fondée sur la contrainte = le conformisme de l’informel.

La poésie en plaquettes, comme la sclérose en plaques!

Un romancier n’a pas besoin d’être brillant sur le terrain des idées générales : celles de Tolstoi sont misérables, celles de Balzac enfantines, celles de Proust très limitées par son ignorance et son milieu…

Il est bon d’entrer dans la vie l’insulte à la bouche…

 

Si l’on prêtait un instant à l’art qui est dit contemporain une intention satirique à laquelle il n’accède manifestement pas, même si certains jugent bon de singer quelques poses « subversives », on pourrait voir une tentative – catalogue complet de… Mais il manque toujours les hommes…

Au contraire de la remarque de Proust, il n’y a plus que l’idée, le truc, le concept au sens publicitaire… et ce n’est pas un cadeau ! Fusion de l’art et de la publicité.

Les « querelles » sur l’art contemporain sont sans objet. En réalité, il n’existe rien de tel. Dans un roman de science-fiction du milieu du vingtième siècle, étaient exposées dans les musées les œuvres des publicitaires et « créatifs » du passé… Nous en sommes là, à cette nuance près que les publicitaires se faisant « artistes » (créatifs), les artistes se sont faits publicitaires (d’eux-mêmes et de leur monde). Ce qui porte le nom d’art contemporain est un composé de publicité, de finance spéculative et de bureaucratie culturelle.

Peut-être dira-t-on, avec quelques bonnes raisons, que c’est une gageure, dans un tel monde (dans un tel moment de l’histoire), d’être peintre. Mais c’en est une, aussi, d’être un homme…(« Soyez des hommes ! »)

Les trémolos des pleureuses de la « haute culture »… Quelle culture, quand le travail se décompose en opérations mécaniques, sans cohérence ni sensibilité ?

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Le mauvais esprit, le ferment qui fait lever les idées couchées sur le papier, sans quoi elles restent lettre morte…